Écrire

ÉCRIRE,

en primitive passion
le bruit des écrits, le taire de soi
écrire pour que cesse la régurgitation

écrire, me tiendrait lieu de corps
lieu du corps

écrire, de l’irracontable
ce réel, ce ciel, ce regard, ce mot, cette étreinte
de la matière traversée d’instants, de joies, de coups
à la trace, impressionnés
une peau, un cœur, un œil, tatoués de motifs

écrire des brisures, des éclats, des morceaux
parce qu’on ne sait jamais quoi faire avec des morceaux
parce que ne vois pas le monde en une narration
parce que ne considère pas que seule la narration dit le monde
même s’il nous faut des histoires pour ne pas mourir
ne fabrique rien avec les pièces
je regarde les pièces
je visite les pièces
je change de place les pièces
elles demeurent des pièces à côté l’une de l’autre
cabossées
dans une grande solitude
même si ce n’est pas rien déjà d’être à côté je ne cherche pas à rapprocher les pointillés
mais à les reconnaître
je désaligne je portraitise

écrire, parce que le langage est un échec
parce que la parole est une défaite
parce qu’au profond du réel, l’urgence de la vision
parce qu’il y a du dire sous le dire, à côté

écrire, exiger du langage
exiger non de son face à face de vivant mais de sa dé-face
exiger du langage pour approcher l’humain

écrire, une attention  extrême portée à
écrire n’est pas tendresse donnée à soi-même
se hanter de mots
écrire plie le ressassement

écrire excède
comme l’ombre
une ombre

écrire pour respirer nouvellement, [lire, idem]

écrire, mon excès, mon souci, mon extravagance
mon acte, mon engagement, ma responsabilité
ma tentation de désinvolture, mon sérieux, mon mordant
ma quête de justice
mon détour pour parvenir à l’exacte exactitude
mon impalpable matériau
mon acuité en quête d’abandon

Écrire est une panique, une calme panique, une panique de désir. Un désir de désir de liberté.

Hélène Lanscotte

crédit photo / Hélène Lanscotte